Interview par Jacques Vassal pour le journal Paroles et Musiques – N°57 Février 1986
Dessin Jiho
Photo JP Leloir - 1985 Ma famille ne s’intéressait pas du tout à la chanson ; mes parents n’avaient jamais eu d’électrophone chez eux. Mon père voulait que je fasse des études. J’avais 12-13 ans quand il a vu arriver une guitare à la maison et il n’était pas du tout d’accord, ce qui m’a conforté ! S’il avait été un libéral à ce niveau-là, je ne sais pas du tout ce que ça aurait donné ".

C’est par l’Angleterre que Castel connaît son premier contact avec la chanson : " j’ai 37 ans et quand j’étais au lycée, c’était les Beatles, Bob Dylan et Donovan. Mes parents m’ont envoyés apprendre l’anglais, et à la télé anglaise à ce moment là passaient des gens incroyables. Ça m’a donné envie de jouer d’un instrument, et puis l’idéalisme, chanter pour la paix, etc. j’étais bien branché là-dedans ".

Commencent alors les répétitions ... pour les copains : " Mes parents avaient une grande maison et étaient souvent dans les Landes (je suis né à Neuilly). Alors les copains du lycée m’ont demandé à venir répéter chez moi. Un jour, ils m’ont demandé de remplacer leur bassiste. C’était rare à l’époque d’avoir une guitare basse, on jouait de la basse sur une six cordes normale. Ils m’ont appris à faire comme ça quelques accords et j’y ai pris goût. Puis ils se sont aperçus que je ne chantais pas trop mal et comme personne ne voulait faire le chanteur ...

De là à écrire des chansons, il n’y avait qu’un pas :  " Un fait divers m’a frappé : un forcené près de Bordeaux s’était enfermé avec femmes et enfants en menaçant de tuer des gens, c’était la première prise d’otages moderne et j’ai fait une chanson là-dessus en piquant une musique à Simon & Garfunkel. Je l’ai chantée à des copains qui l’ont trouvée bien, et puis j’en ai fait une autre ... "

Avant le groupe, il a vécu une expérience de spectacle méconnue : " J’ai trouvé un jour un emploi dans un groupe de cascadeur qui faisait des reconstitutions de tournois du Moyen-Âge, je faisais le troubadour là-dedans. J’y ai travaillé trois ou quatre été de suite. Ça m’a appris mon boulot : il fallait que je chante sur des sonos souvent merdiques devant des milliers de personnes. Et on m’avait demandé de faire des chansons en rapport avec ce spectacle, pour un 45t en vente uniquement sur place. "


Castel .... et Arthémis
Ayant réussi avec peine à se faire réformer, il décide de " faire chanteur " et écume les MJC, " en duo toujours, parce que j’ai la trouille, tout seul sur scène ". Et en 74 naît le groupe Castelhemis : " Le copain qui jouait avec moi venait d’un groupe qui s’appelait Arthémis et moi, depuis le spectacle moyenâgeux, on m’appelait Castel. Et à la première fête du PSU, il fallait trouver un nom ... "

Au départ, Castel ne voulait pas faire de disque : " J’étais contre, par principe, " métier pourri ", etc. Et puis je tournais en rond, alors je me suis décidé à frapper aux portes. La période étant moins dure qu’aujourd’hui (NdM : je rappelle qu’on est en 85 !), reçoit plusieurs propositions : " Celle qui m’a fait le moins peur était Cézame : une petite boîte qui avait pleins d’artistes folk que j’aimais bien. J’ai donc signé avec Frédéric Leibovitz et Jean-Michel Gallois-Montbrun " (producteurs des deux premiers albums, ils restent directeurs artistiques des suivants, qui seront produits par RCA).


Rock ... ou Folk ??
Le premier album, celui qui contient la fameuse " Favella de Levallois ", a une histoire méconnue elle aussi : " On l’avait d’abord enregistré avec les musiciens folk de la maison : Emmanuelle Parrenin, Phil Fromont, Claude Lefebvre, Gary Peterson. Et puis le studio que possédait Cézame à Saint-Michel a été inondé : mes bandes ont été détruites par l’accident. Quand on a pu refaire le disque, on a travaillé avec un guitariste-arrangeur anglais, vivant en France, Paul Slade ".

Photo X - 1978

Castel a son idée sur le folk, qu’il a bien connu : " J’aime les instruments acoustiques ; il y a toujours pas mal de guitare dans mes disques et je me bats pour ça, même si j’aime aussi les synthétiseurs. J’aime bien le folk mais j’ai toujours été le cul entre deux chaises (d’ailleurs, je pense souvent à fonder un " front de Libération des Culs entre deux Chaises " !) ; je me rappelle une discussion lors d’un festival avec l’accordéoniste de la Bamboche : il m’a incendié ! Quand on me téléphonait pour des concerts – car je n’avais pas d’agent – on me demandait : " Est-ce qu’on peut mettre " Folk " sur les affiches ? " Je disais :  " Non, les mecs vont être déçus, moi je fais mes chansons ... " Et plus tard, on m’a fait le même coup avec " rock " : " C’est quand même un peu rock, ce que vous faites ? " ! "

Castelhemis s’est intéressé aux régions et aux identités culturelles ; deux chansons (" Le petit landais " et " 40 Landes ") y font directement référence : " A une époque, comme plein d’artistes, je me suis demandé d’où je venais. Je ne me suis jamais senti parisien. Mon vrai nom, c’est Laboudigue, un nom éminemment Landais ! Et le fait d’avoir de la famille dans les Landes, où j’étais souvent invité, m’a fait remarquer des trucs ; par exemple dans les mariages, je voyais ma mère complètement transformée chanter des chansons que je ne connaissais pas. Alors j’ai écrit là-dessus ; et j’ai vu que tout ce mouvement en faveur des régions a fait avancer les choses : en Bretagne, où je vis maintenant, il y a aujourd’hui des écoles en breton ".


La spontanéité de l’inspiration
Photo F Vernhet

Et puis, il y a la guerre... Castel est un pacifiste convaincu : " Considérant que mon boulot de scène, c’est de faire passer un bon moment aux gens et pas de faire un meeting, que j’ai de la chance d’avoir un micro, je dois essayer quand même de dire ce que je pense ; un chanteur qui ne parle que des petites fleurs et des oiseaux, moi ça me gonfle, et puis je ne peux pas m’y cantonner ". Mais il ne veut pas du tout calculer en fonction des sujets " à faire " : "Ca sort comme ça sort. Je compose sur tout ce qui soit m’enthousiasme, soit me fait râler. J’écris très vite en général, et beaucoup. Au moment de faire un disque, les autres m’aident à éliminer mes maladresses ; par exemple, j’ai tendance à faire trop de couplets ".

Il réagit spontanément, et allez savoir ensuite si ça ne fera pas un sujet de chanson ! "Hier dans ma voiture, j’écoutais 95.2 et j’ai entendu la pub suivante : le magasin Free Time (les hamburgers), au Forum des Halles, a ouvert ses portes : pendant une semaine, les bénéfices de Free Time vont être versés à l’Ethiopie. Et on entend la voix d’une petite gamine qui dit : " Ah, je suis bien contente, je vais aller chez Free Time à midi parce qu’il va y avoir moins d’enfants qui vont mourir de faim dans le monde ! " Là, je trouve ça grave, parce que c’est du business et on parle de vies humaines ... "

Il paraît que Castel vend du disque sans que ça se sache dans le métier : " C’est le premier album qui s’est le mieux vendu ; l’étonnant, c’est qu’il y a 8 ans et qu’il se vend toujours au même rythme qu’au début (soit environ 1200 par mois) ; et que les deux derniers, après avoir connu des pointes au début, sont retombés au même niveau que les autres mais s’y maintiennent ". Un jour, le directeur de RCA s’en est étonné en comparant son cas à celui d’autres artistes qui vendent peu malgré des opérations promotionnelles ; étonné aussi qu’un vieux disque se vende encore autant. Castel est encore découvert aujourd’hui sur la foi de ce disque par des jeunes qui le croient récent : " Je reçois un courrier incroyable, il y a le bouche à oreille, et puis il y a les tournées ".

Castel considère le disque et la scène comme deux choses complètement différentes, même si les chansons sont les mêmes : " Les gens vont peut-être me voir pour une ambiance, une fête, une envie de chanter ensemble, plus que pour la rigueur musicale. Cela dit, mon groupe de scène actuel est bien meilleur que l’ancien, et serait peut-être capable d’enregistrer un disque, alors que mes disques sont faits avec des musiciens de séances ".

La musique brésilienne le passionne et cela se sent dans ses disques comme dans sa vie privée : " Je fais encore de l’évangélisation ! J’ai une vaste collection de disques brésiliens et quand il y a des amis chez moi, je leur fais écouter des tas de morceaux de Jorge Ben, Caetano Veloso ou Chico Buarque, que 90% des gens ne connaissent pas ".

Comme pour Thiéfaine ou Couture, le succès de Castelhemis – quoique à un moindre degré – est peut-être une victoire du public et de son libre choix sur les modes médiatiques : " Je suis peut-être un des derniers à bénéficier de ce phénomène ; ça devient de plus en plus dur, la pression médiatique, c’est énorme. Mais ce qui se passe avec le public m’étonne : par exemple, j’ai toujours été vachement touché de voir des gens sortir un billet de 50 F pour acheter une place pour me voir. Ce qui m’a amené à un immense respect pour le public ; les gens sont fidèles quand ils sont venus vers un artiste qui a ramé pendant longtemps. Mais il ne faut pas se foutre de leur gueule, surtout quand on chante des idées généreuses "

Victime d’un grave infarctus en 83, Castelhemis apprécie d’autant plus le simple fait de pouvoir faire ce métier de chanteur : " J’ai dû être opéré à cœur ouvert, puis il y a eu des semaines de réanimation, comme dans les films médicaux à la télé sauf que là, j’étais acteur principal ! Une expérience vraiment terrible, l’hôpital, parce qu’il n’y a pas que soi-même, on sympathise avec des gens en train de claboter ... " Au point qu’il a renoncé à son intention première d’en faire des chansons : " Peut-être que ça a été trop fort, parce qu’il y a eu le maximum de complications. J’ai fait deux embolies, dont une qui m’a rendu aphasique complet et hémiplégique du côté droit. Je me suis dit : pour un chanteur-guitariste, alors là bravo ! ! "

C’est pourquoi les " grands projets " artistiques, comme une comédie musicale, pour lui n’ont pas grande importance, trop content d’avoir recouvré la santé et une activité normale (avec quelques restrictions : plus de cigarettes, plus de surmenage en tournée), Castel continue simplement son métier : " On est en train de finir un 45t, en attendant un album. " Yo yo " est une chanson sur le départ, sur un type qui est coincé dans sa vie ; " Requiem " parle des fins de soirées, des gens qui sont paumés, qui cherchent quelque chose ".

Depuis le Forum, il y a plus d’un an, on ne le voit guère à Paris : " On me parle d’une soirée unique à l’Olympia en avril ; mais il faut remplir ! Ce n’est pas mon obsession de faire une salle à Paris... " Une fois oubliée, si possible, la maladie, qu’est-ce qui lui ferait le plus plaisir en tant que chanteur ? " J’aimerai bien être un chanteur reconnu, simplement ; qu’on puisse dire : " Castelhemis ? Ah oui, le mec qui a fait tel titre ! " et non pas " hein ? Castel et Quoi ... ? "  Je pense que c’est naturel ... "

Et Castel a repris la route de Bretagne ...
Jacques Vassal


(NdM) Merci à Eric Lesaint de nous avoir fait profiter de cette coupure de presse extraite d'un vieux Paroles & Musiques de 1986. Cliquez sur les chapitres pour retrouver un scan de l'édition originale!!