Nous sommes en fin 1968. Il y a quelques mois c’est un vent de révolution qui a soufflé sur Paris...
Du côté de Montparnasse au carrefour de la rue de Vaugirard et du Boulevard Pasteur, il y a d’un côté le Lycée Buffon et en face, au début de la rue de Vaugirard, une petite boutique de disques qui s’appelle « Musélec ». Elle est fréquentée par des lycéens fauchés qui en profitent pour venir écouter les dernières nouveautés et par quelques personnalités du Show bizness.
Le patron a des relations et certaines habitent le quartier, ainsi pouvait-on y rencontrer Maurice Dulac et Marianne Mille, Boris Bergman, Catherine et Maxime Le Forestier etc. Les autres c’étaient nous: glandeurs ou étudiants nous voulions refaire le monde et nous nous croyions artistes. Il y en avait dont j’ai oublié les noms mais je me souviens d’un certain Laurent (Petit Gérard) qui voulait que nous soyons tous musiciens. Il est devenu depuis compositeur et chef d’orchestre symphonique.
Puis il y avait les gratteux ceux qui savaient jouer de la guitare et qui tentaient de reproduire les airs à la mode, ceux de Dylan ou des Beatles. Il y avait José, Philippe, Bernard … et puis il y avait, moi. Depuis 4 ans j’avais lâchement abandonné l’école, expérimenté le journalisme, la radio, la télé et le cinéma je faisais même de la figuration très intelligente dans les émissions de Guy Béart. J’avais plein de projets et celui du moment était de devenir le disquaire, (aujourd’hui on dirait DJ), d’une nouvelle boite à St Germain des Prés.
Mon Père était chansonnier et présentait des spectacles dans des cabarets de la rive gauche. Il avait été en son temps l’un des pionniers du mouvement germanopratin cher à Boris Vian et Raymond Queneau. Pour toutes ces raisons quand Bernard Dussaus et Philippe Laboudigue ont voulu se lancer, ils m’ont demandé de les aider.
Pour être crédible il fallait du matos. Philippe et Bernard ont cassé leur tirelire pour s’acheter des vraies guitares, des « Martins » trouvées chez Victor Flore un magasin de la rue Pigalle. Philippe voulait un bon son. Il avait acheté une sono avec 2 baffles et une chambre d’écho. Le répertoire, c’était essentiellement les chansons de Donovan. Philippe avait une grande admiration pour ce chanteur. Le groupe s’appellerait Folk Évasion. Pour la voix c’était plutôt Philippe et pour la guitare et la technique musicale c’était assurément Bernard. Philippe avait écrit et composé sa première chanson elle s’appelait « Cestas ». Elle racontait l’histoire d’une des premières prises d’otages médiatisée : Le 11 février 1969 André Fourquet 38 ans abandonné par sa femme se barricade dans sa maison dans la ferme du Sayet sur la commune de Cestas avec ses 2 enfants Francis et Aline 11 et 13 ans, le siège s’éternise l’ex femme sollicitée refuse tout contact, Fourquet se donnera la mort après avoir sacrifié ses 2 enfants. L’affaire du forcené de Cestas fit grand bruit à l’époque. Philippe y a vu le désespoir d’un homme malheureux et il en fit sa première chanson chargée d’émotion et de sensibilité. Malheureusement les paroles sont aujourd’hui oubliées.
Pour le duo Folk Evasion il fallait se faire entendre et toutes les occasions étaient bonnes je me souviens de la foire du Lendit à St Denis. Mon père y assurait l’animation d’un cabaret médiéval C’était pour eux, l’un des premiers contacts avec le vrai public. Les jeunes du coin réclamaient : «là-bas dans la forêt » c’est par ses mots que débutait : «Cestas». Pour les déplacements, Philippe avait récupéré une vieille Juva 4. C’était exactement ce qu’il fallait pour le matos mais ce n’était pas super confortable. Ils ont joué dans des restaurants, des discothèques comme le « Régiskaïa » à Meudon La Forêt mais surtout au Médicis rue de l’Echaudée à Paris.
J’avais réussi à me faire embaucher comme disquaire au Médicis. Le patron s’appelait Jean Martin. C’était un ancien Catcheur qui à l’heure de la reconversion avait été l’un des premiers à ouvrir une discothèque à Paris. Au début il avait fait racheter par son manager, « le Tabou », rue Dauphine, un des hauts lieux de la période de St Germain des prés où mon père avait officié en son temps. Il tenait son affaire de main de maître et recevait au rez-de-chaussée le gratin des artistes fréquentant le quartier à des heures tardives. Mon père nostalgique du lieu en faisait partie, moi je pouvais ainsi sortir en boite à l’œil.
Au bout d’un certain temps Martin et Goldstein le fameux manager géraient jusqu’à 5 discothèques dans Paris. A la suite d’une brouille Martin voulu voler de ses propres ailes. Il a reprit le « Médicis club » anciennement tenu par Yves Robert qui avait été le créateur de « La Rose Rouge ».
J’en étais le disquaire titulaire. J’ai présenté mes 2 copains à Martin qui a tout de suite apprécié leur style. Ils s’y produiront en semaine un ou deux sets entre minuit et 2 heures. Sur ce, Martin qui jouait les mauvais garçons dans les films de Michel Audiard, se sentant une âme de crooner, voulut faire un disque. Ayant quelques relations dans le show-biz, j’ai réussi à mener à bien l’opération. Grâce à une série de combines nous avons sorti un 45tours qui tenait plus du gag que du tube. Martin satisfait du résultat eu l’idée de créer le label Médicis. Il était également le manager du spectacle d’Yvan Chiffre : « Les Chevaliers ». Reconstitution fidele avec chevaux et cascadeurs des tournois du moyen-âge. Philippe et Bernard y joueront les Baladins et enregistreront leur 1er disque.
J’ai momentanément laissé les platines pour devenir le directeur des éditions Médicis la Rose Rouge et aussi l’attaché de presse du spectacle d’Yvan Chiffre.
Pour faire le disque du spectacle, il fallait trouver un autre nom car Folk Evasion ne convenait plus. A la suite d’un « brainstorming » d’enfer entre Philippe, Bernard et moi, on a trouvé Castel parce que ça sonnait moyen-âge, c’était le nom d’un endroit à la mode « Chez Castel » et c’était un nom commun chez les pieds noirs qui tenaient une grande place dans le domaine du spectacle à cette époque. L’accent pied noir ça les faisait bien marrer. Alors va pour Castel ! Vendôme c’est dans une vielle chanson française qui faisait : « Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry, Vendôme… Vendôme …». Castel et Vendôme ça sonnait bien. On avait même rajouté : « Les Simon & Garfunkel français »!
Le disque sort : 4 chansons écrites et cosignées par nos 2 compères. La pochette rappelle bien le spectacle et Yvan Chiffre y récite la ballade des pendus. Le disque se vendait (bien) sur le spectacle en tout 5000 exemplaires ont été pressés.
Pour que les éditions musicales : « La Rose Rouge » existent il fallait 10 chansons publiées Il n’y en avait pas assez, alors Castel en a improvisées à la hâte c’est ainsi qu’est née : « Bigorrnô on my mind » une chanson 100% bidon. Il y en avait d’autres peut-être plus sérieuses.
Lors de la séance d’enregistrement il restait du temps une fois les 4 chansons enregistrées alors on en a fait une 5ème : « Lady Jane ». Bernard faisait la voix lead.
Article rédigé en mars 2007
Jean-François Chevais(DR)