Mémoires de Jean-François Chevais sur la période Folk Évasion de 1968 à 1970
Photo JF Chevais

Castel & Vendôme le début

Nous sommes en fin 1968. Il y a quelques mois c’est un vent de révolution qui a soufflé sur Paris...
Du côté de Montparnasse au carrefour de la rue de Vaugirard et du Boulevard Pasteur, il y a d’un côté le Lycée Buffon et en face, au début de la rue de Vaugirard, une petite boutique de disques qui s’appelle « Musélec ». Elle est fréquentée par des lycéens fauchés qui en profitent pour venir écouter les dernières nouveautés et par quelques personnalités du Show bizness.
Le patron a des relations et certaines habitent le quartier, ainsi pouvait-on y rencontrer Maurice Dulac et Marianne Mille, Boris Bergman, Catherine et Maxime Le Forestier etc. Les autres c’étaient nous: glandeurs ou étudiants nous voulions refaire le monde et nous nous croyions artistes. Il y en avait dont j’ai oublié les noms mais je me souviens d’un certain Laurent (Petit Gérard) qui voulait que nous soyons tous musiciens. Il est devenu depuis compositeur et chef d’orchestre symphonique.
Puis il y avait les gratteux ceux qui savaient jouer de la guitare et qui tentaient de reproduire les airs à la mode, ceux de Dylan ou des Beatles. Il y avait José, Philippe, Bernard … et puis il y avait, moi. Depuis 4 ans j’avais lâchement abandonné l’école, expérimenté le journalisme, la radio, la télé et le cinéma je faisais même de la figuration très intelligente dans les émissions de Guy Béart. J’avais plein de projets et celui du moment était de devenir le disquaire, (aujourd’hui on dirait DJ), d’une nouvelle boite à St Germain des Prés.
Mon Père était chansonnier et présentait des spectacles dans des cabarets de la  rive gauche. Il avait été en son temps l’un des pionniers du mouvement germanopratin cher à  Boris Vian et Raymond Queneau. Pour toutes ces raisons quand Bernard Dussaus et Philippe Laboudigue ont voulu se lancer, ils m’ont demandé de les aider.


La période Folk Évasion

          Pour être crédible il fallait du matos. Philippe et Bernard ont cassé leur tirelire pour s’acheter des vraies guitares, des « Martins » trouvées chez Victor Flore un magasin de la rue Pigalle. Philippe voulait un bon son.  Il avait acheté une sono avec 2 baffles et une chambre d’écho. Le répertoire, c’était essentiellement les chansons de Donovan. Philippe avait une grande admiration pour ce chanteur. Le groupe s’appellerait Folk Évasion. Pour la voix c’était plutôt Philippe et pour la guitare et la technique musicale c’était assurément Bernard. Philippe avait écrit et composé sa première chanson elle s’appelait « Cestas ». Elle racontait l’histoire d’une des premières prises d’otages médiatisée : Le 11 février 1969 André Fourquet 38 ans abandonné par sa femme se barricade dans sa maison dans la ferme du Sayet sur la commune de Cestas avec ses 2 enfants Francis et Aline 11 et 13 ans, le siège s’éternise l’ex femme sollicitée refuse tout contact, Fourquet se donnera la mort après avoir sacrifié ses 2 enfants. L’affaire du forcené de Cestas fit grand bruit à l’époque. Philippe y a vu le désespoir d’un homme malheureux et il en fit sa première chanson chargée d’émotion et de sensibilité. Malheureusement les paroles sont  aujourd’hui oubliées.  
         Pour le duo Folk Evasion il fallait se faire entendre et toutes les occasions étaient bonnes je me souviens de la foire du Lendit à St Denis. Mon père y assurait l’animation d’un cabaret médiéval C’était  pour eux, l’un des premiers contacts avec le vrai public. Les jeunes du coin réclamaient : «là-bas dans la forêt » c’est par ses mots que débutait : «Cestas». Pour les déplacements, Philippe avait récupéré une vieille Juva 4. C’était exactement ce qu’il fallait pour le matos mais ce n’était pas super confortable. Ils ont joué dans des restaurants, des discothèques comme le « Régiskaïa » à Meudon La Forêt mais surtout au Médicis rue de l’Echaudée à Paris.


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Le Temps du Médicis

          J’avais réussi à me faire embaucher comme disquaire au Médicis. Le patron s’appelait Jean Martin. C’était un ancien Catcheur qui à l’heure de la reconversion avait été l’un des premiers à ouvrir une discothèque à Paris. Au début il avait fait racheter par son manager, « le  Tabou », rue Dauphine, un des hauts lieux de la période de St Germain des prés où mon père avait officié en son temps. Il tenait son affaire de main de maître et recevait  au rez-de-chaussée le gratin des artistes fréquentant le quartier à des heures tardives. Mon père nostalgique du lieu en faisait partie,  moi je pouvais ainsi sortir en boite à l’œil.
Au bout d’un certain temps Martin et Goldstein le fameux manager géraient  jusqu’à 5 discothèques dans Paris. A la suite d’une brouille Martin voulu voler de ses propres ailes. Il a reprit le « Médicis club » anciennement tenu  par Yves Robert qui avait été le créateur de « La Rose Rouge ».
J’en étais le disquaire titulaire. J’ai présenté mes 2 copains à Martin qui a tout de suite apprécié leur style. Ils s’y produiront en semaine un ou deux sets entre minuit et 2 heures. Sur ce, Martin qui jouait les mauvais garçons dans les films de Michel Audiard, se sentant une âme de crooner, voulut faire un disque. Ayant quelques relations dans le show-biz, j’ai réussi à mener à bien l’opération.  Grâce à une série  de combines nous avons sorti un 45tours qui tenait plus du gag que du tube. Martin satisfait du résultat eu l’idée de créer le label  Médicis. Il était également le manager du spectacle d’Yvan Chiffre : « Les Chevaliers ». Reconstitution  fidele avec chevaux et cascadeurs des tournois du moyen-âge. Philippe et Bernard y joueront les Baladins et enregistreront leur 1er disque.


Folk évasion devient ... Castel & Vendôme

Photo JF Chevais           J’ai momentanément laissé les platines pour devenir le directeur des éditions Médicis  la Rose Rouge et aussi l’attaché de presse du spectacle d’Yvan Chiffre.
Pour faire le disque du spectacle, il fallait trouver un autre nom car Folk Evasion ne convenait plus.  A la suite d’un « brainstorming » d’enfer entre Philippe, Bernard et moi, on a trouvé Castel parce que ça sonnait moyen-âge, c’était le nom d’un endroit à la mode « Chez Castel » et c’était un nom commun chez les pieds noirs qui tenaient une grande place dans le domaine du spectacle à cette époque. L’accent pied noir ça les faisait bien marrer. Alors va pour Castel ! Vendôme c’est dans une vielle chanson française qui faisait : «  Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry, Vendôme… Vendôme …». Castel et Vendôme ça sonnait bien. On avait même rajouté : « Les Simon & Garfunkel français »!
Le disque  sort : 4 chansons écrites et cosignées par nos 2 compères. La pochette rappelle bien le spectacle et Yvan Chiffre y récite la ballade des pendus. Le disque se vendait (bien) sur le spectacle en tout 5000 exemplaires ont été pressés.
Pour que les éditions musicales : « La Rose Rouge » existent il fallait 10 chansons publiées Il n’y en avait pas assez, alors Castel  en a improvisées à la hâte c’est ainsi qu’est née : « Bigorrnô on my mind » une chanson 100% bidon. Il y en avait d’autres peut-être plus sérieuses.
Lors de la séance d’enregistrement il restait du temps une fois les 4 chansons enregistrées alors on en a fait une 5ème : « Lady Jane ». Bernard faisait la voix lead.


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          Les chevaliers » se jouaient à travers toute la France et nous étions souvent sur la route. L’ambiance était celle d’une troupe et nous en avons plein de  bons souvenirs. Le soir avant ou après le spectacle il y avait une sorte de veillée où chacun faisait son numéro. Castel et  Vendôme nous régalaient avec une parodie de : « Pas cette chanson » que chantait Johnny Hallyday. Nous dormions souvent tous dans un dortoir et c’était souvent le chahut comme de vrais potaches. Le disque avait bien marché et l’on s’était dit qu’il serait bien d’en faire un autre plus moderne.

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         Castel avait déjà une certaine inspiration pour écrire des chansons. Sur scène il jouait avec une flute à bec en bois ce qui donnait un son agréable. La recette avait bien fonctionné pour  « Marie » dans le 1er disque. « Solstice » était un peu plus Rock & roll et « D’où vient le vent » une chanson qui correspondait bien à ce qui se faisait à cette époque.  Il y avait quelques musiciens : Patrick Garel à la batterie, Paul Farges à la guitare et surtout Francis Moze à la basse sur la bande master de l’enregistrement la fin du morceau s’éternisait avec des lala lala mais surtout une  ligne de basse d’enfer malheureusement la bande a disparu. Les 2 chansons étaient signées de Philippe seul.

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Castel & Vendôme étaient de toutes les expériences d’Yvan Chiffre qui avait une boulimie de projets. Moi j’avais repris les platines du Médicis. On a essayé de faire une maquette pour un nouveau disque à la manière des tubes de l’époque genre slow de l’été : Beaucoup de reverbe, guitare électrique, paroles anglaises avec un insert sensuel en français. A la fin de la démo on entend Castel avec un accent pied noir dire : « si y z’emballent pas avec çà !». La chanson s’appelait :« Heavens » et on peut encore écouter une version très abimée.

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Puis Martin a vendu le Médicis. J’ai été engagé par monsieur Corvetto un personnage hors du commun qui  voulait ouvrir une discothèque « Le Caveau » à  Quincy sous Sénart dans l’Essonne.  Castel et Vendôme, bien sur, étaient de la fête. Après cet épisode nous nous sommes perdus de  vue. Ils ont suivi Yvan Chiffre en Province, puis Castel a trouvé d’autres filières pour se produire il est devenu Castelhémis et dés lors nous avons perdu contact.

J’ai commencé à travailler à la télé d’abord comme éclairagiste assistant puis comme Journaliste reporter d’images ou je suis resté plus de 30 ans. J’ai revu souvent Vendôme, je lui ai indiqué le chemin à suivre pour rentrer à la télé aujourd’hui il y est encore. Yvan Chiffre continue à monter des spectacles grandioses et Martin ne doit plus être de ce monde.
Voila c’était l’histoire d’une rencontre. Il y  a très longtemps que nous ne nous sommes pas revus et c’est bien dommage !

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Jean-François Chevais ici avec Ornette Coleman
En septembre 2006


Article rédigé en mars 2007
Jean-François Chevais(DR)